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Les conclusions de notre enquête sur l’attractivité des professions en Belgique sont on ne peut plus claires: le métier d’ingénieur est le plus attrayant de tous. Pourtant, il a significativement moins la cote auprès des femmes que des hommes. Les chiffres le confirment: en 2025, à peine un ingénieur diplômé sur 4 est une femme en Belgique. Dans la formation au métier d’ingénieur civil, la part des étudiantes féminines ne représente même que 17 pour cent.

Comment expliquer cet écart toujours aussi important entre hommes et femmes, malgré tant d’années d’efforts de la part des autorités, de l’enseignement et des fédérations sectorielles? Plus important encore: comment y remédier? Nous avons posé la question à Karolien Vasseur, docteur en ingénierie civile en science des matériaux et Director Technology Innovation chez Umicore.

choisir sans renoncer: une grande variété, un potentiel gigantesque

“J’ai toujours eu un large éventail de centres d’intérêt: les langues, le droit, les sciences… tout m’attirait. La nécessité de faire un choix au terme de mes études secondaires m’est dès lors apparue comme une sorte de renoncement”, explique Karolien. “Mais c’est justement parce que je m’intéresse à plein de choses que j’ai choisi les sciences de l’ingénierie. Cette formation est tellement vaste et m’ouvre tellement de portes: celles de l’enseignement, de la recherche, du monde de l’entreprise – et celles de presque tous les secteurs et spécialisations.”

La carrière de Karolien montre, elle aussi, à quel point sa profession est variée. “Suite à mon doctorat chez IMEC, qui m’a amenée à mener des recherches sur les cellules photovoltaïques, j’ai été engagée au département de recherche d’Umicore. J’y ai collaboré ces dernières années à une série de projets axés sur le recyclage des matériaux nobles et sur les flux métalliques. C’est vraiment gratifiant de contribuer à l’économie circulaire par mon travail et de le savoir utile à la lutte contre le changement climatique.”

débarrasser le métier d’ingénieur de ses clichés

Être ingénieur, pour Karolien, c’est bien plus que mettre en pratique son expertise technique.
“Au fil du temps, j’ai pu non seulement m’épanouir énormément sur le plan technique, mais aussi évoluer du statut de chercheuse à celui de responsable d’équipe. Dans mon rôle actuel, disposer de solides compétences douces constitue dès lors un grand atout: communiquer, collaborer, motiver les troupes sont autant d’aptitudes essentielles pour aider l’équipe à atteindre des résultats. La fonction d’ingénieur vous offre donc aussi l’opportunité de développer pleinement ces compétences et de les exploiter dans votre travail. Cette facette du métier est rarement mise en avant, or c’est aussi cet aspect-là qui rend la profession si passionnante à mes yeux.”

Ce qui n’aide vraiment pas les femmes à se projeter dans cette profession, selon Karolien, c’est le schéma stéréotypé du métier d’ingénieur. “Lorsqu’on parle des ingénieurs, on montre souvent l’image d’un homme qui répare une machine. Ou d’un homme en pleine action sur un chantier de construction. Alors qu’un ingénieur pourrait tout aussi bien être une personne qui travaille dans la micro-électronique ou un labo de chimie. Cette profession est tellement vaste. Si l’on montrait plus souvent ces autres options, les femmes seraient plus nombreuses à s’identifier à cette profession.”

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Comme je m’intéressais à plein de choses, j’ai opté pour les sciences de l’ingénierie, une formation tellement large qu’elle vous ouvre toutes les portes.

Karolien Vasseur

à contre-courant

On lit parfois dans les témoignages de femmes ingénieurs qu’elles ont la vie plus dure que leurs collègues masculins et qu’elles doivent par conséquent faire davantage leurs preuves, durant leurs études comme sur leur lieu de travail. “Je n’ai jamais souffert de cet aspect-là”, réagit Karolien. “Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir été prise moins au sérieux que mes collègues masculins. En revanche, s’il y a un détail qui démontre bel et bien que bon nombre de gens associent généralement les métiers techniques aux hommes, c’est qu’on m’aborde régulièrement par le titre ‘monsieur’ ou ‘mister’ dans les mails. De par la technicité de la profession, on part automatiquement du principe que je suis un homme.”

Au moment de choisir ses études, Karolien a également dû faire face à des stéréotypes. “Je n’oublierai jamais la réaction à laquelle j’ai eu droit à la fin du secondaire, lorsque j’hésitais encore entre plusieurs orientations d’études. Nous devions soumettre nos préférences en termes de choix d’études, et attendre le retour des profs sur ces choix. J’avais noté philologie germanique, droit et ingénieur civil.”

L’école approuvait totalement les choix de Karolien pour ce qui était des langues germaniques et du droit, mais estimait que l’option ‘ingénieur civil’ était un peu trop poussée pour elle. Malgré ce conseil, Karolien était bien décidée à explorer toutes les options possibles. Finalement, elle s’est décidée à passer l’examen d’entrée requis pour accéder aux études d’ingénieur civil. 

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Les profs m’avaient encouragée à étudier les langues germaniques ou le droit – mais ingénieur civil? Ils trouvaient cela trop poussé.

Karolien Vasseur

Je me suis dit: je verrai bien comment je m’en tire. Et j’ai réussi l’examen. Donc, malgré les beaux résultats que j’obtenais à l’école et mon souhait résolu d’envisager la formation d’ingénieur, on m’a conseillé, à un moment crucial, de renoncer à ce choix. Cela remonte à plus de 20 ans maintenant. J’espère qu’il en va autrement aujourd’hui.”

des rôles modèles comme levier

Cette dernière phrase, Karolien la prononce en hésitant, comme si elle n’était pas entièrement convaincue que les temps avaient changé.

“Il y a quelques semaines, je suis allée au spectacle de gymnastique de mon plus jeune fils, âgé de 6 ans, sur le thème des ‘métiers’. Ce qui m’a frappée, c’est de voir à quel point les rôles classiques des hommes et des femmes sont encore tenaces en 2025. On y percevait encore clairement le très classique clivage hommes-femmes.”

“Si l’on conditionne aussi tôt les enfants avec ce genre d’images stéréotypées, il est évidemment très difficile de se défaire de ce schéma par la suite. Peut-être y suis-je particulièrement sensible de par mon parcours personnel, mais je trouve vraiment que notre société – et certainement aussi notre système d’enseignement – devrait agir au plus vite.”

Pour elle, les rôles modèles féminins constituent un levier crucial pour mettre un terme définitif à ce stéréotypage. “Les rôles modèles féminins sont la preuve vivante qu’un autre paradigme est possible. C’est pourquoi il me semblait également important de dégager du temps pour cette interview, afin de contribuer moi-même à accroître la visibilité des femmes ingénieurs.”

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Les rôles modèles féminins sont la preuve vivante qu’un autre paradigme est possible.

Karolien Vasseur

“Il faudrait en réalité laisser les jeunes découvrir, au départ de leurs talents, ce qu’ils aiment faire et ce qu’ils font bien. Nous devrions être beaucoup plus conscients du fait que les messages du type ‘tu as un profil de soignant, choisis donc une fonction dans les soins de santé’ leur ferment déjà de nombreuses portes. Le bon choix d’études est en effet tellement plus complexe et nuancé que cela…”

Pour Karolien, il importe que les parents et tous ceux qui donnent des conseils d’orientation d’études aux jeunes agissent dans la plus grande prudence. “Ils doivent résolument veiller à ne pas brider les jeunes à l’avance. Et à leur tour, ces jeunes – en particulier les jeunes filles – ne doivent pas se laisser brider. Il doivent explorer toutes les options avant de faire un choix. Mon métier est tellement passionnant... Je me félicite encore aujourd’hui de ne pas avoir suivi docilement le conseil restrictif de l’école.”

recrutement sexuellement neutre

Interrogée sur les conseils qu’elle donnerait aux employeurs, Karolien insiste sur l’importance, pour les employeurs également, de montrer l’énorme diversité et le vaste potentiel de la profession d’ingénieur de façon correcte et inclusive. C’est également à cette condition que les femmes pourront se reconnaître plus facilement dans ce profil et mieux appréhender leur vocation. Selon elle, nous avons tous ici notre part à faire en tant que société, mais les employeurs aussi peuvent certainement jouer un rôle significatif à cet égard.

“Les employeurs feraient d’ailleurs bien, lors du processus de recrutement, d’être pleinement attentifs à la manière dont ils pourraient mieux cibler, inspirer et attirer les femmes”, conclut Karolien. “Il serait notamment utile d’impliquer également dans le processus de recrutement des femmes qui exercent une fonction technique similaire au poste qui est vacant, par exemple au cours d’une entrevue ou à l’occasion d’une visite de l’entreprise. De quoi permettre aux candidates de s’identifier plus facilement à la fonction et de poser les éventuelles questions qui les préoccupent en tant que femmes.”

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